Utopia, tous des barbares est un spectacle sur la langue pris comme élément fondateur de notre rapport au monde.
Utopia ? Utopia, c’est Babel. C’est imaginer une communauté, échafauder une assemblée et l’amener à vivre une expérience sensible, une expérience d’écoute, une expérience de théâtre.
Barbare ? Bar-bar-e. La même syllabe, deux fois. « Barbare » nous vient d’une « onomatopée par laquelle les Grecs de l’Antiquité désignaient ceux qui ne parlaient pas leur langue »*. Le barbare, parce qu’il ne parle pas, se trouve hors de la civilisation. Utopia, tous des barbares demande : qui est le barbare ? Celui qui ne parle pas la langue (bar) ou celui qui ne la comprend pas (bar) ?
Sur le plateau d’Utopia, tous des barbares : 5 tables, 75 chaises, 5 comédiennes, 70 spectateurs. Dans cette communauté éphémère, à chaque table une comédienne accueille une dizaine de spectateurs ; le dispositif place chacun sur un pied d’égalité. A l’unisson, ces comédiennes interprètent des bandes-son, des récits enregistrés de personnes dont le français n’est pas la langue native. Toutes répondent à une question : quels sont les premiers mots que vous avez appris ? A travers ces mots, apparaissent les parcours et histoires de chacun ; le récit se reconstitue à partir de l’ensemble des fragments entendus.
La question du langage et de ses échos traversent, création après création, le travail de Marie Lelardoux : la voix / le silence / la parole / qu’est-ce que dire, se taire, combien de temps peut-on se taire, combien de temps peut-on fermer la bouche ?
Sur scène, Marie Lelardoux pousse la figure du comédien dans ses retranchements ; jusqu’à quel point cette figure du dire et de la parole dans cet espace du dire et de la parole du théâtre peut-elle demeurer silencieuse ? La parole occupe une place singulière, de son premier spectacle (2001) La dernière bande de Samuel Beckett où la voix de Krapp nous parvient à travers des bandes enregistrées à La Maison (création 2011), une pièce silencieuse où la parole** surgit, fugace, avant de retomber dans un silence matiéré.
Pour le nouveau champ d’expérience qu’est Utopia, tous des barbares, l’oralité est au cœur du travail. La collecte de matière s’est faite par le biais d’interviews dont Marie Lelardoux a choisi de ne pas réaliser de transcription : tout le travail se fait à partir de ces bandes-son. Chaque comédienne travaille donc au casque pour apprendre, non pas un texte, mais bien une bande-son : intonations, respirations, silences, hésitations, mots. Pour les comédiennes, il s’agit, entre sons et sens, de faire l’apprentissage méticuleux – au souffle près – d’une langue accidentée.
Dès janvier 2012, Marie Lelardoux ouvre des « laboratoires » au cours desquels elle aborde la parole comme matière première d’un prochain spectacle. C’est dans ces moments que se constituent l’équipe des comédiennes d’ Utopia, tous des barbares. Jusqu’alors, l’interprète était pour Marie Lelardoux le souffle de son esthétique scénique. Le laboratoire de novembre 2012 révèle un aspect différent : le corps du comédien est le prolongement d’une voix. Ici « l’espace » travaillé est celui du sonore. Sans intervention de création sonore. La constitution du son du spectacle vient directement des voix et de leur circulation des comédiennes dans la salle. Avec un travail musical de la part des interprètes sur l’effacement, l’apparition, le brouhaha, le choeur. Donner à entendre un chant, par les mots.
Un chant du monde. Son écho, une résonance.
* dictionnaire de l’histoire
**La porte de Suzanne Joubert
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