mise en scène Alexis Forestier
Avec
Cécile Saint-Paul , Fröde Bjornstadt, Bruno de Coninck, Barnabé Perrotey
(distribution en cours)
(…) le cristal n’est pas loin. Ecoutez, on n’entend plus rien. On entend les bruits du village, mais les autres ceux qui viennent de plus loin, ils ne traversent plus…
Le Village de Cristal est un texte inédit de Fernand Deligny, un texte de jeunesse pourrait-on dire ; il y est question de la vie d’un village sur lequel s’abat une menace de cristallisation, d’arrêt du temps et de la réponse formulée – ou agie – sur le plan individuel et collectif face à cette menace – ou promesse d’éternité. Il en va naturellement des désirs des uns et des autres et nous assistons à un basculement par où se révèle ce combat du temps contre le temps et contre l’amorphe ; « l’amorphe étant littéralement ce qui n’a pas de forme cristallisée propre. »
C’est à la manière dont chacun est pris dans la situation d’énonciation – « entre prise et volonté de s’en déprendre… » que nous assistons, car chacun est pris avant même que le cristal se soit produit, et cette prise, cette saisie des habitants se manifeste de diverses manière, génère des réactions fort différenciées et naturellement des comportements contradictoires, où chacun se révèle « tiraillé de désirs contraires » ; aussi cela va-t-il donner lieu, parfois, à un surcroît d’existence ou d’élan vital chez certains habitants qui ne veulent ou ne peuvent être soumis à une pareille loi, mais là encore leurs réactions procèdent d’un vouloir qui les aliène ou les enferme dans une logique intentionnelle. A contrario certains adoptent une position de résignation ou de fatalisme pieux ; ainsi le bedeau, refugié dans le clocher et dont la voix surplombe le village invite chacun à se soumettre à cette arrivée inéluctable du cristal en poursuivant son chemin, sans commettre d’écart, sans que le vouloir n’entrave d’une quelconque manière ce qui serait déjà tracé…
Notes préparatoires
Ce qui importe n’est pas le cristal lui-même la malédiction ou la promesse en tant que telles mais bien ce qui se forme à l’intérieur du cristal, ce qui parvient à sortir par la fêlure, à s’épanouir ; l’inventio(n) qui pourrait surgir, sourdre du texte de cristal, « le monde qui commence », opposer au cristal un galop, une danse .
C’est la structure elle-même la métaphore, la situation qui fabrique, invente une langue.
Le naufrage ou la dissonance consécutifs à l’échec d’une promesse ou d’un projet collectif : le village… Il n’y avait apparemment pas de construction du commun dans le village tel qu’il était en équilibre… c’est la venue du cristal, en tant qu’il constitue une menace, la venue d’un état ordonné, qui fabrique le lieu du commun et la possibilité d’une jouissance ou d’une danse, d’un désordre collectif qui s’oppose au cristal…
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Avant ça ne fonctionnait pas dans le village dit Gros… quand ça ne marche pas il faut passer à autre chose… l’invention du cristal comme une possibilité d’effectuation de ce passage.
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Le cristal une forme lisse parfaite sans scories ni aspérités, une forme de dénuement…
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Une musique de cristal…
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… et chercher ce que commun veut dire
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Le cristal est une dissonance, une rumeur, un bruit répété, « Gerücht », bruit au sens de rumeur, nouvelle incertaine… il s’agit qu’il se déplace, qu’il mute en un champ de possibilités musicales ouvert… la dissonance, le bruit répété, la ritournelle du cristal auquel répond le galop du village, sa précipitation, sa fuite…
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« Ce qu’on voit dans le cristal c’est toujours le jaillissement de la vie, du temps et son dédoublement ou sa différenciation… » il nous faudra montrer ce dédoublement du temps entre présent et passé…le présent – la menace et sa précipitation et le passé -l’image perdue du village et de sa tranquillité ou inexistence… entre présent qui file (au risque de se dissoudre) et passé que certains veulent évacuer et d’autres conserver
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« Quand rien ne change vous vous estimez déjà heureux » dit le berger aux villageois en train de sombrer dans « cœur de verre » de Werner Herzog
nous réfléchirons à la possibilité d’inscrire ponctuellement, d’articuler à la structure de la pièce des textes de Deligny concernant son désir de fabrication du commun, cette aspiration toujours renouvelée vers l’invention d’une vie en commun des hommes…
Il s’agira là de textes qui viendront prendre place comme un pendant à la menace du cristal en tant qu’elle appelle une réponse, l’arrivée d’un désordre et introduit une dimension collective jusque là absente du village
L’ajout de textes annexes permettra d’établir un socle qui reliera le projet à l’ensemble de l’œuvre de Deligny, aux préoccupations plus explicitement éthiques et politiques qu’étaient les siennes.
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Fragments extraits de l’œuvre de Deligny
En fait, le recours clamé à la liberté espère évoquer des résonnances dans des pays proches ou lointains ; le réseau se bat contre le Pouvoir ? Le fait est qu’il se débat contre l’amorphe, l’amorphe étant, littéralement ce qui n’a pas de forme cristallisée propre. Par delà l’arachnéen, nous voilà aux cristaux. C’est donc de forme qu’il s’agit, et ça n’est pas du tout un hasard si le mot de cellule est apparu dans le vocabulaire des révolutionnaires. Mais là n’est pas mon propos. Si les cristaux et la cellule sont de mise, pourquoi pas l’arachnéen. »
Je suis venue dans ce village parce que la mort y était de cristal.
Le temps non chronologique / Gilles Deleuze
Qu’est ce qu’on voit dans le cristal, qu’est ce qu’on voit dans la boule du cristal : ce qu’on voit dans la boule du cristal, c’est le temps non chronologique. En sens le cristal est bien et peut à juste titre être appelé un cristal de temps, dans la mesure où ce que l’on voit dans le cristal c’est le temps dans sa fondation, c’est la fondation du temps qu’on voit dans le cristal ; si c’était vrai ce serait beau je rends à celui à qui ça appartient, c’est la moindre des choses, celui qui a formé la notion de cristal de temps en considèrant le cristal d’un point de vue sonore, c’est Felix Guattari, qui a développé ce thème des cristaux sonores conçus comme cristaux de temps, il l’a développé dans un livre qu’il a fait seul et qu’il appelait l’inconscient machinique il le lie à un phénomène musical qu’il nomme la ritournelle ; la ritournelle ce serait un cristal sonore de temps… moi je me dis après tout, bon, ritournelle c’est parfait, mais ça suffit pas, il me faudrait autre chose, il me faudrait autre chose qui serait ou bien dans le cristal ou bien, mais… qui aurait pas la même position dans le cristal, mais, il me faudrait quelque chose pour faire tourner le cristal pour faire bouger… La ritournelle bon c’est bien mais je me dis après tout ce n’est qu’un aspect… qu’est ce que c’est qui distingue, qui se distingue et en même temps ne se pose qu’en se distinguant – si bien qu’on se retrouverait hégélien en moins d’un clin d’œil -, et bien j’ai trouvé : c’est le galop, c’est le galop. Et oui le galop, c’est pas une ritournelle le galop, c’est un vecteur linéaire, avec précipitation, vitesse accrue ; on pourrait dire qu’il y a deux pôles non-symétriques les galops et les ritournelles, en d’autres termes la musique aurait pour éléments principaux le cheval et l’oiseau… alors j’annoncerais à Felix cette triste nouvelle qu’il y a le cheval aussi…
« (…), et en effet qu’est-ce que c’est que le galop ? Le galop, c’est la cavalcade des présents qui passent. Vitesse accélérée. La cavalcade des présents qui passent, c’est ça un galop. La ritournelle c’est quoi ? La ritournelle, c’est la ronde des passés qui se conservent. (…) »
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