(D’après un évènement réel dont le lieu a été transposé du nord au sud)
Monologue-performance d’après La Marquise d’O… de Heinrich von Kleist, dans la traduction française de Martin Ziegler © Editions Gallimard pour la traduction française
adaptation et mise en scène Jacques André avec Karin Romer
recherche lumière Nicolas Simonin
avec les voix de :
Martin Ziegler
Bruno Ganz, extraits du film de Eric Rohmer.
Edith Clever, extraits du film de Hans-Jürgen Syberberg.
Sous forme de spectacle performance avec Karin ROMER, actrice, la nouvelle de La Marquise d’O… est proposée pour la première fois en français dans sa quasi intégralité : l’histoire d’une femme qui, tombée enceinte sans savoir comment, se bat seule avec sa raison pour ressaisir publiquement son destin face aux préjugés conservateurs de ses proches, et tente ainsi d’échapper à l’exil et à la réclusion où elle se trouve condamnée.
Éric ROHMER au cinéma dans les années 70 puis Hans-Jürgen SYBERBERG au théâtre et dans une adaptation filmée dans les années 80 ont fait connaitre, avec Edith CLEVER, actrice, cette nouvelle en langue originale. KLEIST y fait jouer la puissance qu’il confère aux rôles de femmes, aux forces qui échappent à la raison, aux mouvements physiques du corps et à l’exigence de justice : il s’y révèle, par l’étrangeté de son écriture, et parfois de sa pensée loin des schémas romantiques dont il est trop souvent affublé, le premier des modernes (Deleuze).
Dans un espace incertain, sans doute en reconstruction, une femme nous dévoile en une étrange conférence-confidence le fruit de ses recherches obsessionnelles. Peut-être archiviste historienne d’un fait réel jusqu’alors dissimulé à la postérité, peut-être conservatrice des restes d’un héritage sauvé d’une compagnie théâtrale qui autrefois l’aurait mis en scène, elle incorpore à sa performance des reliques -manuscrits, costumes, objets, archives sonores ou visuelles- exhumés de la scène et manipulés ou éclairées telles des marionnettes. La conscience et la mémoire troublées par la puissance de son récit jusqu’à truffer son français de
bribes originales en allemand, la voix travaillée par le rythme de la narration kleistienne et les gestes parfois contaminés par ses personnages jusques dans leurs chutes répétitives, elle nous rend témoins, en la réinventant, de l’histoire de Julietta, la Marquise d’O… et des autres figures qu’elle affronte.
Par les jeux d’éclairages et de connexions documentaires qu’elle y porte sans en résoudre l’énigme, elle met en doute nos capacités à passer les frontières de l’oubli ou des mystères – des normes sociales, sexuelles, juridiques, biologiques, médiatiques-, mais aussi des relais de l’interprétation sur scène aujourd’hui.
Légèreté et artificialité sont ici assemblées pour accentuer l’intelligibilité et la continuité de la fable. Des partis-pris radicaux en donnent une traduction sensible et comme « feuilletée » : emprunts de langue traduite, d’accents, d’accessoires, de gestes sériés en séquences suivant les descriptions quasi-cinématographiques des mouvements notés par Kleist ; adresse directe ; espace scénique éclaté jusque dans le public. Les tensions qui en naissent traversent l’actrice et le spectacle, animent le déploiement chorégraphique d’une exploration quasi-hypnotique de l’univers de La Marquise d’O… et de son auteur, où le rapport de chacun à « l’étranger » se révèle la clef.
Spectacle longuement maturé issu de recherches conduites sur les traces de Kleist entre Dresde et Paris, il veut apporter un double éclairage au texte à partir de la rencontre de deux regards croisés, tous deux passionnés par le pari d’en élaborer une forme scénique ouverte. Le travail de Jacques André accentue l’originalité d’un récit écrit comme une équation dont la résolution de « l’inconnu » repose sur l’invention d’une figure féminine et de sa stratégie mêlant le plus intime et le plus public ; Karin Romer s’attache, sur fond de conflits
internationaux (guerre et occupation), à la figure masculine de l’étranger et de la passion pour en souligner l’ambivalence, au-delà de tout manichéisme. Elle tresse ainsi un triple combat dans l’arène constituée par le regard des spectateurs : celui de la Marquise d’O., celui de la femme qui en délivre l’histoire sur scène, celui d’une actrice qui seule nous conduit dans cet univers, si loin, si proche.
La compagnie Theatrett
Production Theatrett / Tunnels
Avec le soutien du Centre dramatique régional de Tours